Le 4 novembre, ce sera la lune de givre… ronde, blonde et intensément lumineuse. En Mésopotamie, il y a déjà 2500 années, les hommes se préoccupaient de la lune et de l’influence que celle-ci pouvait avoir sur la terre telle qu’ils la concevaient. De notre côté, au vingt unième siècle, soit 4 millénaires après les premiers écrits des mésopotamiens sur la lune, nous sommes encore assez pauvre en données scientifiques concernant les interactions entre ce satellite et le monde sous-marin.
On sait déjà que les marées sont dues pour grande partie aux effets de l’attraction de la lune sur les masses d’eau présentes à la surface de la terre. A la Réunion, les pêcheurs au thon par exemple savent par expérience, la leur et celle de leurs aieux qu’il ne sert à rien de sortir en mer les jours de pleine lune. En Ecosse, de la même manière, les pêcheurs constatent que les saumons aussi se cachent à cette même période. Sur la terre ferme, les agriculteurs qui utilisent les principes de la biodynamie initiée par Steiner dans les années 1920 sont nombreux à témoigner de l’influence de la lune sur les différentes étapes de leurs productions végétales ou sur le comportement des animaux de ferme. S’ils passaient pour des hurluberlus il y a quelques années, de nombreux chercheurs s’intéressent désormais à cette forme de culture et tente d’expliquer scientifiquement des résultats observés depuis près de 100 ans sur l’influence des phases de la lune sur les qualités et la quantité des récoltes. John Alden Knight, un américain, a développé au début du vingtième siècle un calendrier de pêche en lien avec les phases lunaires : il est connu sous le nom de « the solunar Theory ». En France, des organismes nationaux mènent désormais officiellement des recherches sur cette thématique. Même si elle est encore embryonnaire, elle existe bel et bien. François Poisson, basée à Sète, s’y intéresse notamment. Nous avons pu lui poser quelques questions auxquelles il a bien voulu répondre :
Comment vous êtes-vous intéressé, en tant que chercheur à l’influence de la lune sur les poissons ?
La lune influence de nombreux phénomènes qui ont été décrits dans des études, comme la ponte des coraux, le comportement des thons germons. C’est aussi un élément majeur dans la culture biodynamique.
L’eau de mer et l’eau en général semblent « retenir » certains signaux que l’eau. Mais on ne sait pas comment le mesurer. La recherche a donc son rôle à jouer. Par exemple, il a été démontré que si on ajoutait de l’eau de mer prélevée à marée descendante dans un aquarium contenant des crevettes, celles-ci avaient tendance à s’enterrer. On peut considérer que comme pour l’homéopathie, si la dilution infinitésimale ne laisse pas de trace mesurable dans l’eau (avec nos moyens actuels) de la (des) molécule(s) utilisée (s), il y aurait eu une forme de « mémorisation ». Cela m’a intéressé.
Vous avez publié une étude en 2010 sur l’influence des cycles lunaires et des opérations de pêche sur les poissons pélagiques capturés à la palangre en termes de performance de pêche, de temps de capture ou survie du poisson. Que peut-on en retenir ?
Des expériences ont été menées avec des palangres équipées de minuteries et d’enregistreurs temporels dans la pêcherie de l’île de la Réunion (21 ° 5’S lat., 53 ° 28’E de long. L’objectif était de tenter d’élucider les effets directs et indirects du cycle lunaire et des autres facteurs qui influent sur les taux de capture, la composition des prises, le comportement des poissons, le temps de capture et la survie des poissons. Les données du carnet de pêche de 1998 à 2000 indiquent que les prises par unité d’effort (CPUE) de l’espadon (Xiphias gladius) augmentent au cours du premier et du dernier quart de la phase lunaire, alors que les CPUE du thon germon (Thunnus alalunga) augmentent à la pleine lune. Les espadons ont été capturés rapidement après la pose de la palangre et, comme le thon obèse (Thunnus obesus), ils ont été capturés pendant les jours caractérisés par un faible éclairage lunaire, principalement à marée basse. Nos résultats pourraient permettre de discuter des stratégies de pêche actuelles afin de réduire les coûts opérationnels, les prises accidentelles, la perte de poissons cibles en mer et les impacts néfastes sur l’environnement.
Pensez-vous qu’un jour, bien que la qualité des prises de pêche en mer soient multifactorielles, des outils scientifiques liés à une meilleur connaissance de l’impact des phases de la lune pourraient être mis à disposition des professionnels de la pêche pour favoriser la gestion de la qualité et de la quantité de leurs prises ?
Peut-être mais les pêcheurs professionnels « à l’ancienne » ont acquis beaucoup de connaissances sur les lieux, les profondeurs et les périodes de pêche suivant les espèces de poissons, mais ne communiquent pas efficacement ces informations, soit par difficulté à les transférer soit par choix du secret pour protéger leur activité économique.
Pensez-vous que la luminosité de la lune en fonction de ses phases est la principale source de modification comportementale des poissons ? Plancton / proies plus voyantes à certaines profondeur en fort éclairage ?
C’est possible. Mais les études ne tiennent pas compte des nuages qui peuvent réduire la luminosité
Un logiciel du SHOM permet de noter l’heure de capture du poisson en intégrant l’heure et l’onde de marée. Le croisement de bases de données pourrait permettre de mieux comprendre certains phénomènes précis. Encore fait-il prendre le temps de faire les traitements adaptés. Cela ne peut se faire que dans le cadre de recherche précis.
Y-a-t-il d’autres chercheurs qui s’intéressent à ce phénomène dans le monde ?
Oui. Des collègues publient de plus en plus régulièrement des données sur l’évolution et le comportement de populations d’espèces spécifiques de poissons en prenant en compte des paramètres liés aux phases de la lune.
La lune, notre terre et les Océans restent encore pleins de mystère. Mais cela semble acquis que la lune, influant sur les ondes de marées, interagit avec les différentes espèces marines. Il reste de nombreuses recherches à réaliser avant de pouvoir croiser des résultats et obtenir des données fiables.
Néanmoins, les articles recensés et les discussions avec les chercheurs consolident l’intuition de certains pécheurs quant à l’intérêt de mieux comprendre le rôle de la lune d’un point de vue écologique. En effet, les pêcheurs pourraient, encore plus qu’aujourd’hui, cibler les espèces de poissons prélevés, en ajustant leurs sorties, la profondeur de leurs filets, de leurs palangres, en fonction des comportements spécifiques que des chercheurs pourraient continuer à relever dans différentes zones en fonction du calendrier lunaire.
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